22 juillet 2006


Le choc des cultures, des raffinements permet l'impensable. Allier l'épure orientale au luxe ostentatoire occidental. Lié par un pacte sacré, le dégustateur ne peut s'affranchir d'outils premiers: théière de potier, nobles feuilles de thé, eau filtrée. Aussi ne lui reste-t-il que les accessoires secondaires pour marquer de son empreinte la célébration du thé. Théière de réserve, bateau à thé, poubelle, nappe, pinceau, tasses célèbrent son royaume et peuvent arborer ses couleurs. La tentation du luxe est grande et dangereuse, l'équilibre entre l'abandon et l'affirmation de soi fragile. Il appartient à l'amateur de trouver la voie de son plaisir sans trahir l'esprit du thé.

21 juillet 2006


Boisson des voyageurs par excellence, le thé se pare de toutes les apparences pour suivre son admirateur au fil de ses déplacements. Emballé, façonné, compressé, il sait se montrer discret pour mieux dévoiler ses atouts, le moment venu. A l'ombre d'un jardin fleuri de quelque palais du radjahstan ou face à la mer du nord, au creux d'un fjord, observant le ballet incessant des goélands projetant des jeux d'ombres sur la surface irisée de l'eau calme, couleur argent, le "Wanderer" fait étape, délasse sa carcasse fatiguée, profite du silence et tente d'arrêter le temps.
Les précieuses théières sont restées à la maison, comme une invitation au retour. Alors, il sort de son sac de voyage un zhong et quelques grammes de thé qu'il confronte à l'eau locale, parfois avec bonheur.
Il semble ainsi qu'ici mieux qu'ailleurs, le thé ait pris son temps.

10 mai 2006


Préparer une dégustation.
On n’affronte pas un thé naïvement. Intimer aux feuilles de révéler leurs plus délicats atouts impose une certaine préparation. Il faut mettre en condition l’âme et le corps afin que la fête soit totale. Chasser les mauvais songes, libérer l’esprit, mais aussi assainir le palais, préparer les papilles demande concentration et savoir faire. Bannir les repas trop riches ou arrosés qui donnent soif et transforment la dégustation en orgie à l’eau chaude, espacer la dégustation des repas de plusieurs heures afin que leur souvenir ne soit pas trop vivace. Privilégier le pain au naturel aux mets sophistiqués, savourer sa simplicité, pendant solide à la pure infusion. Dormir afin que le corps soit reposé, disponible à l’éveil des sens. Adopter une position confortable pour la préparation du thé, assise, sans excès de confort afin que l’attention soit possible, dans un environnement calme. Enfin, trouver un lieu suffisamment chaud pour que les arômes ne soient pas bridés par la fraîcheur, mais sans excès. Puis, laisser monter l’envie de thé en pensant à l’avance au bonheur qu’elle procure. Faire du thé un but et non un moyen.

28 avril 2006


L’évocation des arômes.
Ananas, noix de coco, noix, noisette, pastèque, figue, abricot, orange, pruneau, poire, coing, muscat, ginseng, miel d’acacia, de bruyère, fougère, herbe fraîche, sucre blanc, sucre roux, caramel, cannelle, rose, lys, muguet, « fleurs blanches », fleurs fânées, menthol, camphre, noix de muscade, bois, vieux bois, bois brûlé, bois mouillé, terre, terre humide, terre brûlée, légumes verts, petits pois, café vert, épinard, romaine, etc…
Vous reconnaissez sans doute parmi ces références certains parfums rencontrés lors de vos dégustations de thés. Comme le vin, davantage, dit-on, le thé décline des parfums naturels à l’infini. Miracle de la Création que cette plante caméléon qui évoque tant de merveilles de la nature. Miracle d’une infusion réussie qui mettra en valeur ces richesses, mystère de la suivante qui se fermera aux sens, défiant toute logique alors que la préparation n’a pas varié.
Insondable secret porté par la seconde tasse à sentir qui développe avec plus de précision que la première les arômes de la même infusion d’un bleu-vert.
Au-delà des gestes et des mots, le thé rappelle parfois au dégustateur ses pouvoirs et entrouvre la porte de ses secrets.

27 avril 2006


La pratique du Gong Fu Cha implique des gestes précis qui participent à la qualité de l’infusion, puis des gestes que je qualifierai d’apaisants, ceux qui appellent le vide de l’esprit en même temps qu’ils servent la dégustation. Mais culotter une théière est aussi un acte de tendresse. Passer un pinceau sur les flancs généreux d’une Yixing a quelque chose qui dépasse la raison. Ces rituels répétés sans cesse tout au long de la dégustation sont comme un remerciement au talent exprimé par l’instrument, l’objet et bien sûr par l’artisan qui, en amont, a mis tout son savoir dans la réalisation de la poterie. Le dégustateur se doit de rendre cet hommage.
Comme une cave à vin, un stock de thés doit savoir évoluer en permanence. C’est ce ballet incessant entre les nouvelles arrivées et l’épuisement d’anciennes références qui lui donne vie.
Aujourd’hui, la liste de mes thés se décompose ainsi. Qui peux savoir de quoi sera fait le lendemain…
Tous proviennent pour l’instant de la Maison des Trois Thés.

Bleu-verts :

Thés du Rocher :
Da Hong Pao n°6 de 1994
Da Hong Pao n°4
Tie Luo Han
Sui Xian n°5
Yan Zhong Lan
Wuyi Rou Gui 5

Beauté Académique 1

Anxi Tié Guan Yin n°3 de 2004

Pu Erh :
Galette 1983 n°20
Galette 1985 n° 8
Galette 1986 n°4
Galette 1994 n°23
Galette 1996 n° 14
Galette 1999 n° 17

Brique 1980 n° 9

Feng Huang Tuo Cha 1978 n°7
Tuo Cha 1986 n°8
Tuo Cha 1979 n° 3

Carré 1979 n°2 version 1
Carré 1979 n°2 version 3
Carré 1980 n°3
Carré 1985 n°4

Cube 1987 Fu Zi Zhuan

Vrac 1968 n°8
Vrac 60’ Lan Cang Jiang
Vrac 1992 n°14
Vrac 1993 n° 5

24 avril 2006



Ce soir les Parisiens étaient gâtés.

Orages et averses de fin d'été, craquements cataclysmiques, quel meilleur contexte pour déguster un Pu Erh. L'air chargé d'humidité emplit les poumons et appelle ce retour à la nature dont le Pu Erh est la plus pure expression. Alors, ce soir, fenêtre grande ouverte, j'ai mêlé la folie des éléments au raffinement du thé, non sans penser aux autres dégustateurs qui ne ratent pas pareille occasion.

22 avril 2006


Cette théière a rejoint les autres modèles de ma collection, il y a peu. Elle complète admirablement le lot de celles qui servent à la préparation des Pu Erh. Mais il s'agit de ma première yixing consacrée aux thés anciens. Malgré plusieurs recherches infructueuses dans le passé, je n'avais pas encore trouvé de théière yixing à mon goût pour les Pu Erh. Trouver la terre, le modèle, la couleur, le volume, les qualités à l'usage, l'état de conservation, le prix comptent parmi les critères d'un choix toujours difficile. Cette petite nouvelle conserve la précision remarquée chez les taïwanaises mais apporte un supplément d'âme et de profondeur à l'infusion. Elle offre un velouté et une mâche remarquables, ainsi qu'un fort pouvoir d'analyse des arômes et des saveurs. Il est toujours fascinant de penser qu'une théière ancienne a une histoire, un vécu qui lui est propre. On peut imaginer les thés plus ou moins prestigieux qu'elle a connus, les propriétaires successifs, les raisons qui les ont poussé à s'en séparer. Les regrets, déchirements, calculs qui s'en sont suivis. Chaque nouvel acquéreur offre une renaissance à la théière et participe au mouvement perpétuel de la transmission du savoir, de la pratique du Gong Fu Cha.

19 avril 2006


A l'instar du vin, le Pu Er va profiter de l'empreinte du temps pour évoluer, s'adoucir, gagner en profondeur, arrondir sa mâche, son "tombé en bouche" et enfin apprendre à disparaître avec élégance. Remiser en cave les plus mûrs, exposer à l'air les plus verts afin qu'ils évoluent plus vite. Essayer de conserver en quantité suffisante les vracs et cubes afin d'éviter qu'ils ne passent leur tour. Et enfin, laisser les différences s'influencer les unes, les autres en mélangeant les crus en jarre sans craindre qu'ils ne perdent leur personnalité. Apprendre à oublier certains thés pour mieux les redécouvrir des années plus tard, parier sur l'effet du temps.

La magie de la terre de Yixing. Peut-on vraiment expliquer le rôle de la théière sur la qualité de l’infusion, l’apport mystérieux d’une véritable théière de potier ancienne, les vertus de cette terre épuisée. Comment comprendre la profondeur, la richesse de la liqueur ainsi magnifiée. Chaque théière a son langage, son mode d’expression. Une comparaison directe entre plusieurs révèle l’infinie richesse de leur discours.

Le Pu Er est ami du dégustateur. Il accompagne ses temps libres, ses soirées, ses nuits. Les thés les plus mûrs sont réservés aux heures tardives, aident à la digestion, apaisent l'âme et le corps. Les plus vifs éveillent les sens, coupent le souffle. Et tous vident le temps des pensées inutiles. Sous toutes les formes: galettes, briques, carrés, nids, cubes, vrac. Pour toutes les occasions, pour m'accompagner chez moi, en voyage, partout où je suis. De fidèles compagnons aux multiples formes et figures qui seront aussi personnalisées par les instruments, les théières utilisés.

18 avril 2006


Se méfier des apparences, combattre les certitudes. Les meilleurs crus, les plus honorables dégustations ne proviennent pas toujours des feuilles les plus belles. Tel carré de Pu Er compressé n'offrira pas de plaisir partuculier aux yeux, tel vrac aux feuilles ridiculement petites gardera ses secrets pour l'infusion. Quel dégustateur non avisé miserait sur ce fantastique vrac de 1968. Et pourtant...

Si les Pu Er m’accompagnent au quotidien, il m’arrive de consacrer certains moments privilégiés à la dégustation de thés bleu-verts de la famille des « Rocher ». Sensiblement torréfiés, leur univers fait le lien avec celui des thés anciens. Leurs caractères floraux et fruités m’évoquent les gourmandises de l’enfance, sucres d’orge, madeleines juste sorties du four, financiers, confitures de fruits d’été. Pour mettre en valeur la force et la complexité aromatique de ces thés, je fais confiance à une théière en terre de Yixing, acquise il y a quelques années. Sa surface présence de caractéristiques ridules qui évoquent le chemin du temps sur la peau. Une manière pour l’objet de rendre hommage à son propriétaire.

17 avril 2006


Le thé prend son temps, il l'arrête, le temps d'une dégustation; le maîtrise par une succession de gestes utiles à la préparation de l'infusion. Seule l'infusion doit compter. Le dégustateur doit tendre vers la perfection du geste qui magnifiera l'infusion.
Même s'il est parfois (souvent) difficile de faire abstraction du plaisir qu'engendrent les moyens qui mènent à nos fins.
Ci-contre, ma première théière de potier. Un objet convoité, désiré puis acquis. Un objet à fort pouvoir attractif dont la mission ne doit pas dévier: délivrer une infusion fidèle , objective de thés anciens, de Pu Er. Il importe de connaître, de reconnaître les qualités et les limites de cette théière pour cerner les thés que je lui confie. La terre et le travail, la façon font de cette taïwanaise un instrument précis délivrant une liqueur légèrement huileuse mais sans le fondant des vraies Yixing. Les arrêtes sont ici plus vives, l'analyse plus objective, peut-être. On se rapproche d'une dégustation en Zhong. Ce qui pose ainsi certaines limites au plaisir. Une étape.
La passion du thé se mérite. Elle se fait courtiser comme une jolie femme, ne dévoilant ses attraits qu'au fil du temps. On commence par les maisons de thés destinées au grand public. On découvre un univers richement paré, des ustensiles aux vertus hautement décoratives, des théières de touts formes et couleurs, un univers de luxe à l'occidentale. On renoue aux joies du colonialisme passé, gloire d'une Europe passée qui croyait en sa toute puissance. Puis avec le temps, on découvre, on approche la vérité, celle qui revient aux sources de l'Orient, à la beauté simple, au temps que l'on accorde au breuvage et non plus à son apparat. On apprend la nudité du dégustateur face à son infusion, le retour vers soi.