07 août 2007


L’ivresse des mots et des gestes.

Le dégustateur moyen s’est inventé une histoire dans laquelle il incarne l’un des héritiers d’une longue tradition de dégustateurs de thés qui remonte à des temps immémoriaux.
Il reproduit maladroitement les gestes de ses Maîtres et embrasse toute une série de postures qui le rassurent sur la qualité de son interprétation.
Il s’achète tel kit de Gong Fu Cha, décore son espace de dégustation avec un goût inspiré par quelque improbable image « asiatisante ». Il écoute de la musique extrême-orientale, assis en tailleur dans son kimono de viscose.
Il s’improvise amateur des arts chinois ancestraux, parfois pousse-t-il la dévotion jusqu’à arborer une chevelure longue qu’il attache en arrière pour lui rappeler que la Nature transpire par tous les pores de sa peau et de son âme de Gengis Khan de pacotille. Ses théières sont brossées religieusement à la lueur d’une bougie ; il œuvre dans la pénombre, la tête penchée sur le côté tel un moine cabré sous la morsure de son cilice, reconnaissant du maigre savoir qu’il possède.
Sa compagne, lorsqu’elle existe, observe la lente mais inquiétante mutation du disciple, année après année, l’accumulation de boîtes de thés religieusement alignées, les galettes empilées dans un ordre défiant tout logique, les accessoires dignes d’une panoplie d’étudiant en chirurgie raté. Bols, tasses, pinces, brosses se reproduisent telles des blattes dans leur nid. Pour les amateurs les plus atteints, le rituel prend une dimension quasi-mystique. Plus rien ne compte, l’instant du thé mérite respect et calme à tout prix. Le geste se veut noble et précis, la disposition des ustensiles savante et pensée dans ses moindres détails.
L’homo-ridiculus-occidentalus aura peu d’occasions au cours de son existence d’atteindre un tel niveau de ridicule. C’est pourquoi, il soigne si fort sa pratique du thé et s’y consacre avec une grande vigueur financière. Il se dépasse, repousse ses limites, y soumet son temps, son énergie et ses économies.
L’homme, celui de sexe masculin, celui que l’on dit « fort », a tellement besoin d’être rassuré sur ses performances, ses qualités, son savoir, qu’il pousse souvent loin la notion de loisir, de distraction. Il manque de réserve, du caractère rationnel et détaché des choses de sa compagne. Sa perception du temps et de l’espace fait de lui un petit animal condamné à pédaler toujours plus vite, toujours plus fort dans sa roue des plaisirs. Mais le thé est un moindre mal, un vice qui a ses vertus. Alors…Mesdames, laissez-nous pédaler tant que la roue accepte de tourner.